Bob Dylan fait partie de ces légendes auréolées de mystère, souvent données pour mortes, et toujours renaissantes. A 70 ans, avec son Never Ending Tour, il semble avoir la vie de ses héros, les nomades, les forains, les voyageurs de la grande dépression : sur la route, en mouvement incessant. Jamais où on ne l’attend et cependant toujours lui-même, l’artiste a su entretenir et renouveler son mythe.
La Cité de la musique a confié à Bob Santelli, directeur du Grammy Museum de Los Angeles, le soin de revenir aux origines de la légende. Entre 1961 et 1966, Dylan a écrit pas moins de sept albums, qui ont révolutionné l’histoire de la musique populaire et fait de lui une star d’envergure internationale, aussi encensée que contestée. Combien d’artistes pourraient justifier que l’on s’attarde ainsi sur cinq années de création ? Cinq années que le chanteur a traversées telle une comète, imposant son rythme et sa voix, toujours en avance d’une longueur : depuis l’hommage fleuve à la figure tutélaire (« Song to Woody »), qui impose d’emblée ses racines, puisées au coeur de la musique traditionnelle américaine, en passant par les hymnes porteurs de la contestation sociale, jusqu’au tournant magistral (et décrié) d’une écriture infiniment personnelle, souvent énigmatique, jointe à la musique amplifiée.
A l’été 1963, le jeune photographe Daniel Kramer, qui n’y connaissait rien au folk, ne s’y est pas trompé en découvrant Bob Dylan à la télévision : il se souvient d’une voix grave, décalée sur ce physique juvénile ; une allure simple, naturelle et sans affectation, contrastant avec la force desimages véhiculées par les paroles de la chanson qu’il interprète :« The lonesome death of Hattie Caroll » est le récit habilement construit d’un fait divers (le meurtre d’une serveuse noire par un jeune blanc éméché qui écope de six mois de prison). Jouant de la guitare et de l’harmonica tour à tour, le jeune chanteur va au-delà de l’indignation et de la dénonciation : il provoque sur le photographe un effet magnétique, un choc salutaire, comme si les mots charriaient une vérité enfouie. C’est Daniel Kramer, fasciné, qui a voulu entrer en contact avec le chanteur.
De la métamorphose du folk singer en rock star, le photographe,qui a accompagné Dylan plus d’un an, entre 1964 et 1965, offre un témoignage saisissant. Bob Santelli a retenu soixante clichés en noir et blanc qui forment le coeur de l’exposition. Face à cette galerie de photographies du chanteur-compositeur à l’oeuvre − frêle silhouette, presque androgyne au regard angélique mais déterminé, que l’on suit en coulisses, à l’hôtel, en studio, sur la route − s’articulent les temps forts de sa carrière musicale. Ces étapes sont aussi le témoignage d’une l’histoire de la musique américaine : depuis la musique pour faire danser les filles au bal de promo, aux textes engagés qu’on écoute dans les clubs enfumés de Greenwich, puis collectivement dans les festivals, jusqu’à la puissance fiévreuse du folk rock et de ses textes habités…
On touche l’insaisissable du mythe de Dylan dans ce jeu de miroir entre les photos presque intimes de l’artiste au travail et les salles du parcours de l’exposition. Celle-ci présente plusieurs guitares, parmi lesquelles l’une des premières guitares acoustiques de Dylan, la guitare de son mentor Woody Guthrie, mais également de nombreux documents, des archives audiovisuelles et des extraits de concerts.
Des guides d’écoute, réalisés par la Médiathèque de la Cité de la musique, et un espace plus spécifiquement dédié à la découverte de Dylan en France à cette époque-là complètent le parcours du visiteur.
*Avec la participation de Daniel Kramer, photographe.